
Adulte [photo Olivier Ternois – Faune Grand Est]
Une curiosité chez soi
La découverte d’une pouponnière dans un chassis transparent dans le jardin d’un particulier dans le Bas-Rhin offre l’occasion d’ouvrir une entrée illustrée sur la famille des Sphécidés, à travers un représentant allochtone venu des Amériques, mais dorénavant répandu dans toute la France (CARTE), souvent dans beaucoup de jardins : l’Isodonte mexicaine Isodontia mexicana.
Comme beaucoup d’hyménoptères, l’Isodonte utilise des tubes creux pour y déposer ses oeufs, dans une série de cellules en enfilade. A la différence de nombre d’espèces qui utilise de la boue pour maçonner et séparer chaque loge, l’Isodonte se contente de créer des parois superficielles en herbes sèches ou aiguilles. Alors que nombre d’Abeilles sauvages déposent un oeuf par cellule remplie de « miel », les Sphex sont des prédateurs : ils entreposent donc dans chaque cellule une ou un lot de proies paralysées, sur laquelle est pondu l’oeuf. La larve dévorera consciencieusement la ou les proies immobilisées, en commençant par les organes les moins essentiels, afin de la laisser en vie le plus longtemps possible.
Ce sphex étant très opportuniste quant au choix de ses sites de reproduction, on ne sera pas surpris qu’il n’hésite pas à investir également des matériaux non naturels, ça et là dans nos maisons ou appentis, tant que leur diamètre correspond à son besoin. Ainsi, en choisissant de créer une pouponnière à l’intérieur d’une plaque transparente servant de coupe-vent chez un particulier, la bestiole nous dispense ainsi d’une magnifique session de sciences naturelles. La transparence du plexiglas nous permet en effet de visualiser clairement les proies choisis et les larves à différents stades d’évolution, comme le montre les photos ci-dessous. Chanceux propriétaire !



Mode de vie
Les Sphex sont des prédateurs très spécialisés. Chaque espèce a ses hôtes spécifiques : chenilles de papillons ; orthoptères ; araignées. Dans tous les cas, le sphex a la capacité de paralyser ses proies avec son venin, en piquant au seul endroit exact pour cela. Une fois la proie inerte, celle-ci sera trainée avec plus ou moins de peine dans le gîte de reproduction (galeries souterraines, tiges creuses, « tubes »). La deuxième étape, la plus délicate, consiste à pondre un oeuf sur la proie à l’endroit exact exact où le minuscule « vermisseau » pourra s’insérer dans les chairs de son hôte, puis le dévorer à loisir, lentement, pendant plusieurs semaines, en veillant bien à ne dévorer les organes vitaux que en dernier. La larve a en effet besoin de chair fraiche, et ne pourrait évidemment pas se développer à partir de cadavres putréfiés. A ce stade de l’histoire, il convient bien entendu de renvoyer le lecteur aux pages merveilleuses des Souvenirs entomologiques que Jean Henri Fabre consacra à ses insectes préférés, afin de découvrir dans la plus belle des langues tous les mécanismes complexes de ce cycle de vie et de mort.
Selon sa taille, le sphex « offre » à sa larve, soit une grosse proie unique qui seule suffira à permettre au vers d’arriver à maturité, soit une série de proies : la larve, quoiqu’encore petite après avoir ingurgité la première proie, sera en capacité de se déplacer sur la seconde, et grossir ainsi jusqu’à la dernière.
En zoomant sur nos loges de plexiglas, la conclusion est évidente : l’Isodonte est bien un chasseur de Sauterelles, et chaque larve nécessite plusieurs proies dans sa loge (en général quatre ou cinq) ! A y regarder de plus près, les orthoptères choisis appartiennent au seul genre des Méconèmes Meconema. Ces petites sauterelles arboricoles, discrètes mais abondantes dans les feuillages, sont donc bien la spécialité de notre Isodonte. Les deux espèces, Méconème fragile Meconema meridionale et Méconème tambourinaire Meconema thalassinum, sont au menu sur nos photos ci-après (ainsi que, ailleurs en France, Méconème scutigère Cyrtaspis scutata).
Dans notre exemple, se distinguent donc des loges « fraichement créées, où les proies viennent d’être entassées, des loges où une grosse larve côtoie des enveloppes décharnées de sauterelles, et des loges vidées où subsiste une enveloppe de pupe.




L’identifier
Mâle et femelles sont semblables, Alors que la majorité des sphécidés de notre région sont assez grands et colorés (mélange de rouge ou jaune dans le noir), l’Isodonte mexicaine est plus petite (15-25 mm), et entièrement noir-bleu brillant. Tête et thorax sont largement couverts d’une pilosité blanche. Les ailes sont nettement enfumées. Avec sa silhouette typée à l’abdomen pétiolé, elle reste assez facile à déterminer.

Comment la trouver
La période de vol est concentrée de mi-juin à mi-septembre (PHENOLOGIE). Les adultes sont des butineurs. Ils se nourrissent uniquement de nectars, sur des fleurs diverses, dont le lierre. Ils sont alors longuement et facilement observables sur les ombelles.
Bien évidemment, il sera plus difficile de les surprendre en train de construire et d’approvisionner leurs loges. Néanmoins, comme le montre notre exemple, cette opération peut avoir lieu directement chez vous si vous avez un peu de chance, d’autant plus si vous avez dans votre jardin ou votre balcon posé des « tubes » favorables (tiges creuses, tuyaux, etc).

POUR ALLER PLUS LOIN
La ponte en vidéo
Un prédateur amateur de Méconèmes
HERBRECHT, 2011
Razzia sur les sauterelles !
Raynald Moratin, association imago
(et grand merci à Delphine Lacuisse pour le reportage photographique).